Devant l’enthousiasme consensuel autour du mobile, on ne peut que se réjouir de constater qu’il existe une espèce devenue de plus en rare qui tente de trancher avec les discours généralement établis.
L'article
La charge nous vient des adeptes du Web social, du Web participatif. Notre scout blogueur Ethan Zuckermann, Yochai Benkler et d’autres nous invitent à plus de reculs avec des positions souvent tranchées.
En voilà quelques extraits: le mobile est « plus facilement contrôlables par les gouvernements que l’internet », Il [le mobile] assure difficilement l’anonymat (contrairement à l’Internet) [Zukermann], les réseaux de téléphonie mobiles ne sont ni neutres, ni ouverts à la collaboration distribuée [Yochai Benkler]. Et de conclure : “Les raisons qui ont fait des téléphones portables des embryons de plateformes technologiques si populaires dans les pays les plus pauvres, étaient qu’ils étaient beaucoup moins chers que les ordinateurs et qu’ils étaient basés sur des réseaux qui contiennent tout le savoir dans l’infrastructure, permettant l’accès à un équipement très bon marché.” Assurément, conclut Benkler, le risque est d’aboutir à une plateforme très éloignée de celle créative et productive à la fois dont nous bénéficions dans les économies développées.
Débat
Nous avons été souvent habitués aux positions de tranchées, lorsqu’il s’était agi des applications des technologies dans le développement en général, celui des TIC en particulier. Ce type de débat me laisse souvent songeur, voire sceptique, quant à leur pertinence.
Les raisons du succès ou du non succès d’une technologie, sont très souvent multisectorielles. En essayant autant que faire se peut de dépassionner le débat et partant de postulats suivants généralement admis:
- Qu’aucune technologie n’est neutre en soi et que son développement est la résultante d’une philosophie ou logique économique: l’Internet et le mobile ont tous deux été possibles grâce ou à cause (tout dépend de quel bord on se situe!) de la libéralisation économique mondiale entrainant du coup une dérégulation profonde du secteur des télécommunications, une profonde transformation des métiers de l’information et de la communication (1)
- Que le mobile, tout comme l’Internet, a bénéficié d’un engouement et d’un taux d’usage sans précédent parce qu’il remplissait un vide, objet de grande frustration à la fois dans les zones urbaines et rurales.
- Qu'à la différence de l’Internet, qui reste pour les pays en développement d’Afrique une révolution élitiste parce qu’en majorité réservée à une classe de privilégiés (2), le mobile est une véritable révolution populaire pour moult raisons pratiques.
Partant de ces principes, il est de meilleur ton de plutôt militer pour la recherche de complémentarité dans l’usage de ces technologies dont la nature à priori ferait des uns, des outils à usage collectif et des autres, des outils à usage individuel (3). Sur les plans techniques, pour ne s’appesantir que sur cet aspect, l’interface est aujourd’hui possible.
- Les Systèmes d’Information de Marchés (SIM), par exemple, ont très vite compris l’intérêt des passerelles entre le Web et les téléphones mobiles grâce à la messagerie SMS. On peut citer le Réseau des Systèmes d’Information de Marché de l’Afrique de l’Ouest (RESIMAO) (http://www.resimao.org/ ) ou Tradnet (http://www.tradenet.biz/ ) développés déjà en début des années 2000 dans cette région de l'Afrique.
- Un autre exemple, pour documenter les savoirs locaux, plusieurs acteurs de développement ont recours aux téléphones mobiles pour filmer ces expériences et en faciliter l’accès sur le web. Les coûts de développement et le mode d’utilisation restent largement à la portée de ces activistes de développement qui sont en passe de sauver des connaissances inestimables vouées à une disparition quasi certaine.
Enfin, pour fermer ce qui somme toute n’est qu’une parenthèse dans un débat qui vient à peine de commencer, je dirai simplement que nous devons faire confiance à la très grande faculté des communautés rurales à connaître mieux que quiconque leurs intérêts. En revanche, il est important de leur faciliter l’accès aux derniers développements des sciences (de l’Ingénieur, sociales, économiques, etc.). Pour cela un minimum de convergence de ces différentes sciences est plus que nécessaire.
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(1) Lire mon message : [Koda Traore, 2007. Internet au cœur des métiers de l'information] – url : http://kodatraore.blogspot.com/2007/09/internet-au-coeur-des-mtiers-de.html
(2) Pour les raisons économiques évoqués par Zukermann, des raisons techniques de connectivité ou encore des raisons éducatives liées au faible taux d’alphabétisation dans tous les pays d’Afrique.
(3) Ces clichés sont souvent battus en brèche en milieu communautaire africain. C’était le cas avec la radio que l’on pensait individuelle et qui très vite est devenu un outil communautaire avec les radio-club (clubs d’écoute collectifs) et les radios communautaires (émissions débats qui regroupent plusieurs groupes socioprofessionnels ). Avec le mobile, on assiste également à des phénomènes similaires où lorsque pour des raisons économiques, on n’a pas les moyens de s’acheter son mobile, celui du voisin peut servir aux familles qui n’en possèdent pas pour rester en contact le fils, le cousin ou le père absent.